Interview du mois : Comment faire de la transition écologique le catalyseur de l’attractivité des petites villes ? ​

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Comment faire de la transition écologique le catalyseur de l’attractivité des petites villes ?

Interview Christophe Bouillon, Maire de Barentin ,Président Communauté de Communes Caux-Austreberthe, Président de l’APVF, Président de l’ANCT

L’exemple de la communauté de commune de Caux-Austreberthe/ Barentin 

Commune de Barentin en Seine-Maritime

Comment votre collectivité vit le contexte actuel de crise énergétique ? Quel en est l’impact sur vos politiques locales et votre perception des tendances induites par ce contexte inédit ?

Dès le départ de notre projet municipal, nous avons eu comme projet d’investir les 4 transitions qui nous semblent essentielles, la transition écologique, numérique, démographique, démocratique… En ce sens, nous étions déjà bien avancés sur plusieurs sujets au début de la crise.  

Le contexte, pour nous, comme pour de nombreuses collectivités fait office d’accélérateur, mais avec un paradoxe terrible… La situation nous pousse à tourner le dos aux énergies fossiles, à mieux organiser nos mobilités, à participer à la reconquête de la biodiversité, mais en même temps, c’est ce même contexte qui, parfois, ne nous donne pas les moyens de le faire… 

À titre d’exemple, la rénovation thermique des bâtiments qui est un enjeu crucial et qui un impact à la fois sur les finances locales, mais aussi sur l’environnement et l’emploi local… Simplement avant d’être une économie, dans tous les sens du terme, c’est d’abord une dépense. Lors de notre diagnostic énergétique, nous avons identifié notre gymnase comme prioritaire, la rénovation thermique de ce bâtiment représente un chantier de 1,5 million d’euros seulement pour la partie énergétique. C’est là que se trouve le paradoxe, le contexte nous pousse à accélérer les choses, mais en même temps, il peut nous empêcher de le faire car nos budgets se contractent…  

Le Gymnase Pierre Coubertin 

Face à cette situation vous avez mis en œuvre un plan de sobriété municipal, quelle démarche avez-vous adopté, comment avez-vous mobilisé vos équipes ?

Nous avons adopté une approche pragmatique et avons proposé à nos agents d’être au cœur de notre démarche pour sourcer de multiples leviers d’économie et dégager des actions très concrètes nous avons invité chacun à considérer la collectivité comme si c’était son domicile, dans le sens du soin et de l’attention aux détails qu’on y apporte.  

En définitive que fait une ville ?  Elle éclaire ses bâtiments et ses rues, chauffe les écoles, les bâtiments administratifs, les salles municipales, elle utilise un parc de véhicules, elle arrose…  C’est sur ces aspects très concrets que nous avons travaillés tous ensemble.  

Si nous mettons en œuvre ce projet, nous aurons un investissement de 3 millions d’euros pour une économie de plus de trois fois ce montant, mais au-delà de ces économies c’est aussi une autre façon d’aborder les sujets que nous développons avec une volonté forte d’attribuer aux mieux possible les ressources disponibles au sein de la collectivité. 

Pouvez-vous nous donner exemples d’actions mise en œuvre à travers ce plan de sobriété notamment sur la réduction des coûts dans votre collectivité ?

 Ce plan d’action se décline sur tous les aspects de la collectivité… Sur l’éclairage des rues, grâce à la rénovation de l’ensemble de notre parc en LED, nous avons réduit notre facture de 25 %. Notre prochaine étape, c’est la question du pilotage. Nous avons bien entendu engagé des mesures de réduction de l’éclairage en prenant le soin de consulter la population afin qu’elle adhère à ce principe, mais on voit bien que ce qui marche le mieux c’est la modulation, cependant cela nécessite un autre niveau d’investissement…  

Sur les illuminations de Noël nous avons interrogé les habitants en disant, soit nous réduisons le temps d’illumination, soit la zone d’illumination, soit les motifs. Nous étions conscients de l’enjeu de promotion commerciale, de magie de Noël. Finalement les habitants ont accepté que nous réduisions la période et les espaces d’illumination. Impliquer et laisser une marge de manœuvre aux habitants est essentiel aujourd’hui pour que ce genre de dispositifs soient acceptés ! 

« Il ne s’agit pas de priver qui que ce soit, d’abandonner une forme de dynamisme mais de concentrer l’argent public là où c’est utile […] ce qui compte pour les habitants, c’est qu’au bout du bout ça leur profite ! » 

Pour les bâtiments nous avons des enjeux de meilleure isolation, de baisse de température… Pour cela il faut surtout bien les connaitre… En matière d’innovation on a aujourd’hui des capteurs dans plusieurs bâtiments et notamment les écoles qui nous permettent de mesurer hydrométrie, co2, température, bruits etc… La connaissance fine des bâtiments, de leurs usages, est un élément important pour optimiser leur gestion et dégager des économies. 

La récupération des eaux de pluie pour les services techniques, un levier d’économie simple et efficace !  

Un sujet qui a été soulevé par l’un de nos agents c’est la question des chasses d’eau, nous avons 10 écoles et 1200 jeunes, à 2 chasses d’eau par jour en moyenne à 8 litres chacune… À un moment, parce que c’est possible pour le particulier, nous avons voulu récupérer ce qu’on appelle l’eau sale, mais la réglementation nous empêche de le faire pour nos écoles et nos gymnases alors que cela nous permettrait d’économiser 50% d’eau… Parfois, ce sont aussi certains verrous réglementaires qu’il faudrait faire évoluer pour accélérer la transition ! En revanche on a décidé de ne plus chauffer l’eau, récupérer les eaux de pluie etc… C’est un axe de travail très fort du plan de sobriété que nous déployons.  

« Si elle a été un peu occultée, la question de l’eau est essentielle car une ville est par définition un très gros consommateur d’eau… » 



Vous portez des réflexions fortes en matière de transition énergétique à proprement parler dans votre territoire…

En matière de production d’énergie, Nous étudions avec l’Ademe notre capacité à avoir un chauffage urbain pour distribuer l’ensemble des bâtiments publics, ce qui peut être une source d’économie importante. Nous examinons évidemment la faisabilité des travaux, mais surtout le « mix énergétique » à développer sur notre territoire. La grande révolution c’est le mix énergétique, nous devons sortir du fait d’investir une seule technologie parce qu’il n’y a rien de pire…. 

« Ne pas mettre tous ses œufs dans le même panier nous permettra demain de limiter le risque et d’avoir plusieurs interlocuteurs. » 

Nous avons aussi commencé à remplacer le fossile par des ENR, notamment sur deux de nos écoles où nous sommes allés voir un bailleur social qui fonctionne au bois afin de nous raccorder avec eux. C’est en détectant les opportunités sur les territoires et allant vers les acteurs locaux que nous pouvons faire avancer les sujets… Nous mettons l’accent sur cette démarche d’aller vers les acteurs des territoires pour développer des projets, c’est une composante essentielle pour accélérer la transition écologique.  

L’école Pierre Beregovoy  

Comment articuler vous les notions de transition écologique et d’attractivité des territoires ? 

La transition écologique sert clairement l’attractivité du territoire, nous le mesurons très concrètement aujourd’hui, pour poser ses valises quelque part, les gens se disent qu’ils préfèrent être dans un territoire dynamique mais pas dans le sens traditionnel du terme, mais dans le sens d’engagé. La notion d’engagement pour les territoires devient centrale… La vérité aussi quelque part c’est que si on ne le fait pas, on ne pourra pas être prescripteur vis-à-vis des citoyens, ni réellement les accompagner…. 

 « La transition écologique est porteuse de mieux, parce qu’elle permet de mieux allouer les ressources, d’améliorer la qualité de vie, on est vraiment dans un cercle vertueux, transition ne doit pas rimer avec privation ! […] La question du sens est aussi importante pour une ville, et la transition écologique est porteuse de sens aujourd’hui ! »  

Quels sont pour vous les spécificités des petites villes dans les enjeux de transition écologique ?

Notre territoire est dans une vallée industrielle, en France il y en a énormément comme nous et on avait tendance à se dire que nous étions des territoires perdus pour la cause, des territoires en mutation industrielle parfois lourde, parfois douloureuse qui nous amenait à nous dire que nous étions sortis de l’histoire.  

Aujourd’hui, nous faisons notre grand retour dans l’histoire parce que justement on est engagé dans la transition écologique et que notre capacité d’innovation et d’action, propre aux petites villes nous replace au centre des enjeux de transition. 

Il faut savoir que 70% des emplois industriels, la ressource foncière nécessaire à la production des ENR ainsi que les enjeux de résilience alimentaire se concentre sur nos territoires. Sur la mobilité également, c’est dans nos territoires que la voiture domine avec 90% d’utilisation de voiture…En ce sens nous avons un rôle crucial à jouer !  

« N’oublions jamais que la plupart des français (26 millions) vivent dans des villes entre 2500 et 25000 habitants ! »  

Les transports en commun, composante essentielle de l’attractivité des petites villes 

Quels points d’attention doivent avoir en tête les décideurs publics qui souhaitent allier attractivité et transition écologique dans les petites villes ?

Ce qui nous remonte beaucoup aujourd’hui, c’est que les deux sujets importants pour les habitants sont la mobilité et la santé, et c’est la raison pour laquelle nous nous sommes saisis de la LOM et que d’ici la fin de l’année, nous aurons notre premier réseau de transport en commun. La mobilité est très importante car c’est ce qui peut parfois limiter l’attractivité du territoire. Si l’offre de mobilité manque, l’ensemble des projets de transition risque d’être bridé.  

« Les enjeux de mobilité et de la santé sont essentiels pour réussir les transitions et être vraiment attractifs » 

Cela est aussi valable pour l’activité économique. Les entreprises ont besoin de dire « venez travailler ici car il y a des services. ». On ne fonctionne plus en silo, avant une entreprise faisait son métier et la collectivité était plus ou moins dans les infras. Aujourd’hui et l’entreprise et la collectivité sont investis dans la transition écologique car ils sont confrontés aux mêmes enjeux d’attractivité. C’est pour cela qu’on travaille main dans la main avec elles.  

« Il y a un désilotage privé-public tout simplement car nous traversons les mêmes enjeux et les mêmes transitions et nous avons tout intérêt à travailler ensemble. C’est une petite révolution ! » 

Quelle forme doit selon vous prendre la coopération territoriale pour un développement vertueux et équilibré des territoires ?

Les coopérations territoriales jouent un rôle de plus en plus important. Nous avons utilisé avec la métropole de Rouen un outil qui s’appelle une entente territoriale qui a l’avantage d’une grande souplesse… Nous avons une feuille de route, nous nous engageons sur des sujets précis tels qu’une ligne de co-voiturage, de bus à haut niveau de service et nous nous retrouvons chaque année pour faire le point sur l’avancement de l’agenda.  

La ligne de Covoiturage Barentin-Rouen 

Un exemple assez intéressant est celui de Toulouse qui avec des territoires plus ruraux à établit des contrats de réciprocité territoriale qui lui permettent de faire avancer leur PAT. Il y a cette idée non pas du gros qui aide le petit mais d’un système d’échange libre et sain. 

« Les petites villes peuvent apporter autant aux grandes villes que les grandes villes aux petites » 

Je pense que les modalités de collaboration souples et horizontales ont un bel avenir devant elles et doivent être encouragées !    

Avec travers votre nouveau mandat à l’ANCT, quelle dynamique souhaiteriez-vous insuffler à cette institution jeune mais qui porte néanmoins des programmes très appréciés par les collectivités ?

Le premier enjeu est de mieux faire connaitre l’ensemble des outils de l’ANCT, Action Cœur de Ville et Petites Villes de Demain mais aussi Territoires d’Industrie, France numérique, l’Incubateur des Territoires, Avenir montagne, l’Agenda rural… Il y a énormément de dispositifs qui sont dans la main de l’ANCT et à disposition des collectivités. Nous jouons un rôle essentiel qu’il faut conforter, c’est l’appui aux territoires en matière d’ingénierie et la notion de sur mesure que nous souhaitons mettre en avant 

L’ANCT est présente dans tous les départements avec le préfet comme délégué territorial. Il est important que les élus aient plus le réflexe de venir vers l’ANCT et que ceux qui portent les messages de l’agence aillent vers les collectivités !   

Nous nous appuyons sur l’ensemble des acteurs institutionnels, Ademe, Cerema, Banques des Territoires, Anah, avec comme objectif la cohésion des territoires. C’est essentiel pour nos agences et institutions de fonctionner en meute, ce n’est pas au maire de sonner à toutes les portes… A partir du moment où on connait projet le maire nous devons déployer moyens et de chercher toutes les compétences là où elles se situent.  

On ne peut pas laisser un élu interrogatif sur les dispositifs existants, à partir du moment où une collectivité sollicite la préfecture, l’ANCT doit jouer ce rôle d’ensemblier pour mettre tout cela au service des territoires !

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